Auguste Rodin

Étude pour le Secret vers 1910

Épreuve en plâtre, vers 1910-1917
H. 16,6 x L. 6,5 x P. 6,5 cm (H. 12,4 cm sans le socle)

Provenance

  • Madame Denis Clément (par tradition familiale, vers 1950-1960)
  • Par descendance

Bibliographie sélective

  • 1983 EXPOSITION : Rodin, Les Mains, Les Chirurgiens, Paris, musée Rodin, 30 novembre 1983 – 9 janvier 1984, n°77, p.109.
  • 2007 LE NORMAND ROMAIN : Le Normand-Romain, Antoinette, Rodin et le bronze, catalogue des œuvres conservées au musée Rodin, tome I et II, RMN/musée Rodin, 2007, p.252 (sous La Cathédrale).
  • 2011 MARRAUD : Marraud, Hélène, Rodin, La main révèle l’homme, Paris, éditions du musée Rodin, 2011.
 
« Rodin est le sculpteur des mains (…) » Gustave Kahn en 1900
 
Dans son activité créative foisonnante, Rodin travaille souvent à partir de fragments de sculptures ; notamment à partir de 1900 alors qu’il est au sommet de son art et commence à réutiliser fréquemment les motifs déjà existants de son travail. Ceci participe de sa démarche de réduction à l’essentiel et de son intérêt pour le fragment antique. Son atelier regorge de ces « abattis »[1] de petite taille qu’il se plait à piocher et mettre en scène au gré de son imagination[2]. La mise en scène passe parfois par l’assemblage comme c’est le cas dans Étude pour le Secret. Il s’agit ici de deux mains droites isolées et identiques assemblées.
 
Rodin apprécie particulièrement le pouvoir expressif des mains. Si les mains de ses sculptures et groupes sculptés sont toujours remarquables et concourent à l’expressivité de l’ensemble, il les met aussi en scène dans de multiples compositions pour elles-mêmes. « Rodin […] a le pouvoir de donner à une partie quelconque de cette vaste surface vibrante [le corps], l’indépendance et la plénitude d’un tout. »[3]
 
Parmi les autres assemblages de mains, un assemblage de deux mains gauches identiques (il s’agit d’une main de pianiste), fait écho au modèle étudié ici. Cette fois les doigts sont écartés laissant l’air circuler et créant un effet aérien.
 
Isolées, les mains qui nous intéressent ici évoquent la danse. Elles font écho notamment aux mains de Loïe Fuller dansant dont il existe des photographies[4]. Rodin montrait un fervent intérêt pour la danse contemporaine et n’a cessé d’en faire un objet d’études. Assemblées, les deux mains droites offrent une composition symbolique. Se refermant l’une sur l’autre, elles contiennent un vide et sont à voir comme le pendant de La Cathédrale, une autre composition, souvent reproduite, assemblant deux mains droites (mais pas exactement identiques). Dans un cas, les mains évoquent l’ogive gothique : dans l’autre, elles symbolisent le Secret.
 
Le geste, avec l’index légèrement pointé, peut aussi laisser supposer que cette main faisait le signe de fermer la bouche pour faire silence. On retrouve par exemple ce geste signifiant dans le Silence de Auguste Préault ou Étude du Silence de Louis-Philippe Mouchy.
 
Notre plâtre, de dimensions modestes est une étude pour Le Secret en marbre de 89,5 cm de hauteur dont il existe aussi deux plâtres et une fonte par Alexis Rudier, conservée au Philadelphia Museum of Art. Dans cette grande version, les deux mains se referment non sur le vide mais sur une boîte. Le marbre, aujourd’hui conservé au musée Rodin (S.01000), est exposé en 1910 à Londres sous le titre Mains tenant les tablettes sacrées. Avec cette boîte remplaçant le vide entre les mains, l’effet de l’œuvre en est changé.
 
Les petites mains de l’étude ne perdent pas en puissance par rapport à la grande version : « Des mains […] si précisément définies, sans mièvrerie aucune, qu’on croirait démesurément agrandies par un géant : telle les crée cet homme, à sa mesure. Il est si grand. Les fait-il toutes petites, aussi petites qu’il le peut, elles sont encore plus grandes que les humains… »[5]
 
Notre Étude pour le Secret en plâtre n’est pas signée à l’instar des cinq épreuves en plâtre conservées au musée Rodin (S6077-S4051-S1249-S3047-S5325). Les mains sont soudées au socle en marbre rouge par une base en plâtre. Des traces de coutures, issues du moule à pièce, sont visibles.
 
Une édition en bronze du modèle a débuté en 1916 avec le fondeur Alexis Rudier, d’abord sous le contrôle de Rodin puis sous le contrôle du musée Rodin, entre 1919 et 1958, avec Alexis puis Georges Rudier. Trois épreuves sont conservées dans des musées américains (New York, Metropolitan Museum of Modern Art ; San Antonio, Texas, The NcNay Art Museum ; Washington D.C., National Gallery of Art).

[1] L’abattis est le résultat d’une opération de moulage de l’œuvre :« Parties saillantes d’un modèle en terre qui, du fait de leur forme ou de leur position, doivent être coupées et moulées à part pour faciliter l’opération de moulage. Les abattis d’une figure sont généralement les bras et les jambes ; ils sont assemblés, après le moulage, à la masse de l’œuvre. » in Sculpture, méthode et vocabulaire, éditions du patrimoine, 2000, p.558.
[2] Cette pratique s’appelle le marcottage : « composition d’une nouvelle œuvre sculptée en réutilisant partiellement ou totalement des œuvres déjà exécutées. Le sculpteur fragmente ses propres œuvres et les réintroduit dans une œuvre nouvelle. », in Sculpture, méthode et vocabulaire, éditions du patrimoine, 2000, p.549.
[3] Rainer Maria Rilke, Auguste Rodin, Paris, éditions Émile-Paul Frères, 1928, p.55-56.
[4] In 2011 MARRAUD, p.56-57 : Anonyme, Mains de Loïe Fuller, 1914, épreuve gélatino-argentique. Loïe Fuller crée un spectacle, La Danse des mains, dans lequel seules ses mains sont éclairées, le reste du corps restant dans l’ombre. Et elle s’exprime ainsi : « Une main séparée du corps peut exprimer sa joie, sa douleur, sa peine, avec autant de perfection que la forme humaine toute entière. »
[5] Rainer Maria Rilke à Clara Rilke, 2 sept 1902 in Correspondance (Œuvres III), Paris, Le Seuil, 1976, p.26.