Manuel Martinez Hugué dit Manolo
Nu debout 1912
Épreuve en bronze, n°IIII
Fonte au sable, probablement Florentin Godard, entre 1911 et 1929
Monogramme et numérotation (à l’intérieur) : KHIIII
Étiquette (à l’intérieur) : GALERIEN FLECHTHEIM BERLIN W 10 / LÜTZOWUFER 13 / DÜSSELDORF / KÖNIGSALLEE 34 : 12 Manolo / NU / K 610 3/4
24,4 x 10,1 x 10,9 cm
Provenance
- Lyon, collection particulière
Bibliographie
- 1961 EXPOSITION : Manuel, Martinez Hugué dit Manolo, Galerie Louise Leiris, 17 mai – 17 juin 1961, Draeger Frères, France, 1961, n°17 (Nu debout, bronze, « 15 ép. », hr 24).
- 1974 BLANCH : Blanch, Montserrat, Manolo, sculptures, peintures, dessins, Cercle d’art, 1974, repr. p.30 n°18 (épreuve en bronze du Museum of Modern Art de New York).
Exposition
- 1929 EXPOSITION : Manolo, Paris, Galerie Simon, Berlin et Düsseldorf, galerie Alfred Flechtheim, Francfort, galerie Flechtheim & Kahnweiler, 1929, p.10 : n°9 Stehende nackte Frau, 1912.
« Ses sculptures contiennent une architecture fort équilibrée car les volumes et les masses y sont bien réfléchis. Et quoiqu’elles ne conservent presque jamais les proportions de la forme qui est reproduite, l’ensemble qui en résulte est harmonieux. Toutefois, par-dessus tout, elles donnent une sensation de puissance »[1]
Né à proximité de Barcelone, Manolo reste toujours attaché à la Catalogne : il réside à deux reprises à Céret entre 1910 et 1927, petite ville catalane française. Il est alors sous contrat avec le marchand parisien Daniel-Henry Kahnweiler (dès 1910), qui lui assure le confort matériel pour créer librement. Il bénéficie assez rapidement d’une renommée internationale grâce à des expositions et articles de presse en France, en Allemagne et aux États-Unis.
Créée lors de son premier séjour à Céret (1910-1914), le Nu debout représente une femme, en léger contrapposto, dénudée, les bras joints dans son dos, et portant une coiffe. Le canon est opulent, la figure présente des formes à la fois rondes et courbes, et géométrisantes. Précédemment, Manolo crée une autre figure, dans la même position, mais cette fois-ci habillée. Il s’agit de Jeune Catalane[2] (1911), figure féminine vêtue d’une longue robe épaisse et coiffée d’un voile couvrant sa chevelure, dont une épreuve est conservée au musée national d’art moderne (inv AM1322S). En 1913, il crée un autre Nu conservé au Detroit Institute of Art (inv 35.23) comparable à Nu debout par la pose et les formes géométrisantes.
Dans la Ben Plantada, publiée en 1911, Eugenio d’Ors[3] élabore un type féminin idéal, correspondant à celui de la femme catalane du XXème siècle, au corps « bien planté, d’une opulente harmonie de proportions, épanouie mais qui, dans ce même respect des proportions, obéit aux canons de la statuaire antique »[4]. Ainsi, selon ses critères, la femme parfaite se reconnaît par des proportions généreuses et équilibrées qui s’ordonnent selon les valeurs antiques de calme et d’harmonie. Les écrits d’Ors semblent avoir trouvé un écho plastique fort chez les sculpteurs catalans de l’époque, en particulier dans les œuvres de Maillol et de Manolo. « Manolo connaissait bien Maillol, français de Catalogne, et son voisin dans le Roussillon. Ils étaient aussi de la même génération et tout ceci explique le lien entre leurs œuvres. »[5], explique Kahnweiler. Alors que Maillol cherche, à travers ses figures[6], à rendre la pureté des formes et la sérénité de la beauté antique, Manolo livre une version personnelle de son idéal féminin qui cadre parfois assez bien avec la vision prônée par Eugenio d’Ors. Nu debout présente ainsi ce canon aux proportions en harmonie, épanoui.
Grâce à des recherches réalisées par Elisabeth Lebon, spécialiste des fondeurs de bronzes, nous savons que Daniel-Henry Kahnweiler (1879-1937), suivant l’exemple de son confrère Ambroise Vollard pour Maillol, fait appel au fondeur Florentin Godard pour éditer les bronzes de Picasso, Manolo ou Laurens. Elisabeth Lebon précise que la collaboration commence en novembre 1911[7] : « De façon semble-t-il non systématique, et récemment découverte[8], Kahnweiler demandait à Florentin Godard de marquer les épreuves qu'il lui commandait d'inscriptions invisibles au spectateur (soit au revers des reliefs, soit à l'intérieur des rondes-bosses) : une numérotation, toujours en chiffres romains, ainsi parfois que ses initiales HK[9], qui apparaissent en relief. Elles marquent sans aucun doute une fonte ancienne du vivant de l'artiste, puisque la dernière commande de Kahnweiler à Florentin Godard date d'avril 1929 ». Comme toutes les épreuves réalisées sous la direction de Kahnweiler au moment où il commence les éditions limitées, notre épreuve n’est pas signée par Manolo. Elle porte les initiales : KH suivi de la numérotation IIII en relief à l’intérieur.
Notre épreuve porte également une étiquette qui précise sa présence dans les galeries du marchand allemand Alfred Flechtheim (1878-1937) à Düsseldorf et à Berlin. Ce dernier rencontre Kahnweiler à Paris entre 1905 et 1906 et les deux marchands travaillent en collaboration étroite entre 1913 et 1933. Avec la Première Guerre mondiale, la galerie de Kahnweiler doit fermer et ses œuvres sont saisies. Puis, elles sont mises en vente aux enchères entre 1921 et 1923 ; pour le rachat des œuvres, Kahnweiler mandate son frère Gustave et son ami Alfred Flechtheim, alors constitués sous forme d’un syndicat, nommé Grassat. Ce syndicat rachète des œuvres de Braque, de Picasso et l’ensemble des sculptures originales de Manolo, fondues par Kahnweiler.[10] Notre épreuve a ainsi probablement été fondue avant la guerre, puis envoyée dans les galeries allemandes de Flechtheim une fois rachetées par après la guerre. Puis, Nu debout figure parmi les œuvres montrées en 1929 lors d’une exposition monographique consacrée à Manolo, à la galerie Simon à Paris[11], à la galerie Flechtheim à Düsseldorf ainsi qu’à la galerie Flechtheim & Kanhweiler à Francfort[12].
Selon le catalogue d’une exposition posthume de Manolo à la galerie Louise Leiris[13], il semble que l’édition était prévue à 15 exemplaires[14]. En l’état actuel de nos connaissances, nous ne connaissons qu’un autre exemplaire de Nu debout, conservé au MoMA[15] à New York (inv.597.1939).
[1] R. Jordi, « Escultura catalana. Manuel Hugué », Vell i Nou, Barcelone, n°8, 30 juin 1916, p.85.
[2] 1974 BLANCH, repr. p. 31 n°19-20 (épreuve en bronze du Museo de Arte Moderno de Barcelone).
[3] Eugenio d’Ors (1881-1954) est un auteur catalan. Philosophe, critique d’art, essayiste et romancier, il est un spécialiste de l’époque baroque et le critique d’art le plus important de la première moitié du XXème siècle en Espagne. Après la guerre civile espagnole, d’Ors occupe la direction des Beaux-Arts et la direction du musée d’art contemporain à Madrid ; il crée en 1943 le Salon des Onze dans lequel il oppose à l’esthétique officielle celle de l’avant-garde.
[4] André Ricau-Hernandez, « Femme catalane, pétrie de terre et de mer, sculptée dans la pierre et le bronze : Eugenio d’Ors, Aristide Maillol » in Des femmes : images et écritures, Paris, Andrée Mansau, p. 41.
[5] Manolo, galerie Chalette, 1957, extrait de la préface de D-H Kahnweiler. Il poursuit : « Cependant je pense que Maillol ne s’est jamais émancipé de l’influence de Gauguin et de l’esprit décoratif alors que le travail de Manolo s’est développé avec une complète liberté. »
[6] La Méditerranée, plâtre exposé en 1905 au Salon d’Automne à Paris, en est l’un des exemples les plus aboutis.
[7] Elisabeth Lebon, article « Laurens et le Bronze » in Henri Laurens, Wellentöchter / Daughters of the Waves, catalogue d’exposition, Brême, Gerhard-Marcks-Haus, 30 sept. 2018 - 13 janvier 2019, Mannheim, Kunsthalle, 1er mars – 16 juin 2018, Editions Arie Hartog, Ulrike Lorenz.
[8] À notre connaissance aucune publication n'a encore étudié cette particularité, que nous avons pu constater sur l'exemplaire du MoMA du Verre d'absinthe de Picasso (initiales HK venues à l'envers, sans doute une maladresse du premier essai de Godard qui n'avait pas pensé à les inverser sur le noyau), sur quelques reliefs de Manolo, ainsi qu'une simple numérotation sur des Laurens.
[9]Kahnweiler se faisait appeler Henry. De plus, le petit arrondi du D aurait pu fragiliser le sable du noyau, ce qui peut aussi expliquer la numérotation en chiffres romains, composés de traits bâtons.
[10] 13-14 juin 1921 : 1e vente des biens séquestrés par les Allemands « Collection Henry Kahnweiler, tableaux, sculptures, et céramiques modernes » Part1 : https://archive.org/details/CollectionHenryKahnweiller13To14June1921/page/n25.
[11] La Galerie Simon est le fruit d’un partenariat entre Kahnweiler et André Simon à partir de 1920.
[12] 1929 EXPOSITION.
[13] La galerie de Kahnweiler prend le nom de Galerie Louise Leiris à partir de 1941.
[14] 1961 EXPOSITION, n°17.
[15] Downton Gallery New York / Arthur B. Davies (1862-1928) / Don anonyme au MoMA en 1939, inv. 597.1939.