Manuel Martinez Hugué dit Manolo

Femme accroupie 1930

Plaquette
Épreuve en bronze
Étiquette (au dos) : GALERIE LOUISE LEIRIS / 29 bis, Rue d’Astorg / PARIS (VIIIe) / 1930 / N°illisible / Manolo / Femme accroupie / 6x6 / (8 épr)
D. 6 cm

Provenance

  • Paris, galerie Louise Leiris
  • France, collection particulière

Bibliographie

  • 1930 : PIA, Pascal, MANOLO, collection Sculpteurs nouveaux, Paris, Librarie Gallimard, 1930.
  • 1974 : Manolo, Sculptures, Peintures, Dessins, Éditions Cercle d’Art, Paris, 1974, n°285, p.150.
  • 1995 CATALOGUE : Mont-de-Marsan, musée Despiau-Wlérick, 28 juin-4 septembre 1995 ; Pontoise, musée Tavet-Delacour, 16 septembre-26 novembre 1995, Manolo Hugué (1872-1945), 1995.
 
Manuel Martinez Hugué, dit Manolo, est né à Barcelone en 1872 dans une famille modeste. En 1900, il décide de quitter son pays d’origine pour se rendre à Paris. Sans le sou, il expérimente pleinement la vie de Bohême et se retrouve contraint d’accepter les contrats qu’on lui impose. Sur le conseil de Francisco Durrio (1868-1940), sculpteur et orfèvre basque installé à Paris, il travaille pour le fabricant de bijoux parisiens Arnould et Vin.
 
Manolo souhaite créer des bijoux précieux et admirables pour leur symbolisme et leur esthétique, plus que pour leur valeur matérielle. Dans une lettre de 1919 adressée à Daniel-Henry Kahnweiler (1884-1974), il raconte : « À cette époque, j’allais souvent au Louvre où tout ce que je voyais se traduisait en vagues pendentifs et boucles de ceintures que je travaillais dans du plâtre et quand ils étaient faits, je les promenais dans Paris, rentrant dans toutes sortes de boutiques qui souvent n’avaient rien à voir avec mon affaire. »
 
Au début du XXème siècle à Paris, la bijouterie est un secteur en vogue, connaissant de nombreuses évolutions techniques et stylistiques. Une école d’artistes espagnols, héritiers d’une grande tradition de la ferronnerie et de la forge depuis le Moyen-Âge dans leur pays, et composée notamment des sculpteurs Julio Gonzalez, Pablo Gargallo, Francisco Durrio, et bien sûr Manolo Hugué, est très active à Paris dans la confection de bijoux. L’esthétique qu’ils adoptent est fortement marquée par l’Art Nouveau puis l’Art Déco.
 
Dans un premier temps, Manolo dessine et les orfèvres réalisent. Puis, il décide de créer lui-même des bijoux plus personnels selon des techniques sculpturales acquises durant sa formation, à partir de modèles en plâtre ou terre. Les premiers bijoux de Manolo, qu’il signe « Hugué » et pas encore « Manolo », représentent des insectes élancés, de gracieux oiseaux, et de sensuels visages et corps féminins, des sujets typiques de la bijouterie Art Nouveau. Ainsi, ses bijoux en argent adoptent des lignes fines et épurées, jouant sur l’enchevêtrement de ces formes animales. Plusieurs bijoux de cette période, résultant de sa collaboration avec la maison Arnould, sont aujourd’hui conservés au Museu Nacional d’Art de Catalunya, notamment deux broches figurant respectivement deux grues et deux grillons s’affrontant.
 
A partir des années 1910, la création de bijoux se fait plus rare chez Manolo. Il reprend cette activité plus tard, dans le courant des années 30, pour offrir ses créations à sa fille adoptive, Rosa. Mais le style est alors différend de la première période. La plaquette Femme accroupie a été réalisée dans cette seconde période, en 1930, alors qu’il est installé à Caldas de Montbui où il se remet d’une crise de polyarthrite aigue.
 
Si aucun montage n’atteste du fait qu’il s’agit d’un bijou, notre médaillon possède de nombreuses similitudes avec l’art de la joaillerie-bijouterie : l’objet est de petites dimensions, les détails sont raffinés, et son esthétique correspond à celle des autres bijoux réalisés par Manolo. De par ses dimensions, ce médaillon aurait pu être utilisé comme une boucle de ceinture. Par le passé, Manolo a réalisé d’autres modèles de boucles de ceinture, comme la plaquette L’Étreinte, réalisée en 1907. Déjà, Manolo exprimait une fascination pour l’insertion, et même l’entrelacement des corps dans un espace contraint et restreint. Toutefois, l’esthétique de ce médaillon s’inscrit dans le Style Art Nouveau avec ses décorations en volutes et formes organiques, là où notre médaillon adopte des formes plus stylisées et géométriques.
 
Femme accroupie est réalisé par Manolo alors qu’il approche de la soixantaine. Son style est alors plus affirmé qu’à ses débuts. Pour comparaison, un autre bijou, conservée au Museu Nacional d’Art de Cataluyna, et figurant Vénus devant son miroir, est contemporain de notre médaillon. Il est monté en broche. Si là encore nous retrouvons la fascination pour la figure féminine et l’enchevêtrement des formes, cette broche intègre le vide dans la composition quand notre plaquette est pleine.
 
Ici, la forme circulaire accueille une jeune femme accroupie. Recroquevillée sur elle-même, elle est représentée en plein cadre et épouse bord à bord l’arrondi du médaillon. Le dos de la jeune femme vient se lover dans toute la moitié droite de la plaquette. Ce sensuel dos arrondi est prolongé par une cuisse gauche ronde et généreuse, puis par un mollet charnu. Les formes sont ramassées, lourdes et pleines. Pour épouser la forme circulaire, certaines parties du corps sont rognées ou déformées. La tête, exagérément penchée vers le reste du corps, est prolongée d’une longue chevelure ondulée ramassée par le bras gauche ; le mollet et le pied gauches sont rognés ou écrasés. Manolo a accordé un soin tout particulier aux volumes. Pour accentuer la rondeur sensuelle de la cuisse gauche, l’artiste la traite en léger relief. Il procède de la même manière pour les muscles du bras gauche, qui apparaissent ronds et saillants. Par ailleurs, afin d’insister sur la puissance de ce corps, les omoplates sont apparentes et ressorties. Le sens du détail est très perceptible : à titre d’exemple, la chevelure a été finement coiffée, et chacun des doigts bénéficie d’une attention particulière de l’artiste.
 
Si Manolo ne se reconnaît pas dans le cubisme, son influence, ou plus exactement, son souvenir, est pourtant perceptible ici : les volumes sont traités géométriquement, le cerne de la ligne les délimitent, les parties du corps sont déformées au besoin. Et comme dans les œuvres cubistes, la rigueur géométrique et le traitement plastique du sujet priment sur le contenu narratif.
 
Manolo a toujours cultivé un fort intérêt pour la représentation du corps féminin qu’il aime mettre en valeur en l’insérant dans des cadres contraignants, telle cette Femme accroupie en ronde-bosse (conservée au musée La Piscine à Roubaix), réalisée en bronze en 1913, représentant une femme ramassée sur elle-même, pour s’intégrer parfaitement dans une forme rectangulaire de bloc cette fois. Dans le domaine de la bijouterie-orfèvrerie, son médaillon L’Étreinte de 1907 (ancienne coll. Kahnweiler) traduit son goût pour les corps contorsionnés. Les petits et singuliers formats imposés par la bijouterie lui permettent d’exprimer pleinement cet intérêt, qui trouve une belle illustration dans la plaquette Femme accroupie.
 
Entre 1912 et 1933, Manolo est sous contrat avec le marchand Daniel-Henry Kahnweiler. Leur accord stipule que toute la production de Manolo revient au marchand, moyennant une mensualité. Jusqu’en 1920, Manolo reste le seul sculpteur défendu par Kahnweiler, année où Henri Laurens entre dans son cercle très choisi.
 
La plaquette Femme accroupie a été créée dans ce contexte commercial. Cette épreuve en bronze porte une étiquette de la galerie Louise Leiris, qui est la troisième galerie que dirige D-H Kahnweiler. Après la Première Guerre Mondiale, le 1er septembre 1920, le marchand, dont les biens ont été mis sous séquestre, s’associe avec André Simon pour ouvrir sa seconde galerie au 29 bis rue d’Astorg - ce sera la Galerie Simon, de 1920 à 1941. Lors de 3 ventes aux enchères en 1921, 1922 et 1923 ses biens sont dispersés. Fort heureusement, il parvient à racheter l’ensemble des sculptures de Manolo[1]. En 1941, l’activité du marchand est à nouveau mise en péril puisque la galerie est soumise à une procédure « d’aryanisation ». Louise Leiris, sa belle-fille rachète le fonds de commerce. La galerie est sauvée et continue son activité jusqu’en 1988 (mort de Louise Leiris). Les éditions des sculptures de Manolo se poursuivent telles qu’elles ont été entérinées à l’époque de la Galerie Simon.
 
Kahnweiler édite des modèles dont il consigne scrupuleusement les épreuves en indiquant leur numéro et justification sur l’étiquette discrètement collée à l’intérieur de l’œuvre. Si l’édition de la plaquette Femme accroupie est prévue à 8 exemplaires (comme indiqué sur l’étiquette), les autres exemplaires ne sont actuellement pas localisés.
 
Cette politique d’édition a permis au marchand de diffuser et de faire connaître l’œuvre de son protégé.

[1] 13-14 juin 1921 : 1e vente des biens séquestrés par les Allemands « Collection Henry Kahnweiler, tableaux, sculptures, et céramiques modernes » Part 1 :