Charles Malfray

Le Silence, dit La Boule 1916-1918

Terre cuite (version avec roc)
Signé : Ch. M
H. 9 ; L. 6,5 ; P. 5,5 cm

Provenance

  • Suisse, collection particulière

Bibliographie

  • Jacques Laprade, Malfray, Paris, éd. Fernand Mourlot, 1944, p.17-18.
  • Jean Cassou, Bernard Dorival et Geneviève Homolle, Catalogue guide du Musée National d’Art Moderne de Paris, Paris, Editions des Musées Nationaux, 1954, p. 201-202, repr. (plâtre)
  • Charles Kunstler, La sculpture contemporaine de 1900 à 1960, Paris, Edition de l’Illustration, 1961, planche 26, repr. (plâtre, H. 30 cm)
  • Françoise Galle, Catalogue raisonné des sculptures de Charles Malfray, mémoire de DESS, université de Paris I, direction de Robert Julien, 1971, n°26, 27, 28, 29, 30.
  • Hommage à Humblot et Malfray, Romorantin-Lanthenay, Bibliothèque municipale, 17 mai-1er juin 1980.

Expositions du modèle

  • Charles Malfray, Paris, musée du Petit-Palais, juin 1947, n°7 (plâtre, H. 31 cm), n°8 (bronze, H. 7 cm), n°9 (bronze, H. 55 cm), repr. 
  • Charles Malfray 1887-1940, Paris, Galerie Edmond Guérin, 16 février-31 mars 1948, n°9 (bronze, H. 55 cm, 1/8), n°25 (bronze, H. 31 cm, 1/8), n°47 (bronze, H. 7 cm, 1/8), n°53 (plâtre, H. 85 cm).
  • Charles Malfray 1887-1940, Londres, Marlborough Gallery, septembre-octobre 1951, n°1 (bronze, H. 31 cm).
  • Formes Humaines, deuxième biennale de sculpture contemporaine, Paris, musée Rodin, 29 avril-30 mai 1966, n°3 (bronze, H. 55 cm), repr.
  • Hommage à Charles Malfray, Orléans, musée des Beaux-Arts, 2 septembre-9 octobre 1967, n°2 (bronze, H. 60 cm).
  • Hommage aux amis des musées d’Orléans, Trente ans de dons, 1972-2002, Orléans, musée des Beaux-Arts, 2002, n°29 (bronze, H. 40 cm, E.A.2).
  • Charles Malfray, Parçay-les-Pins, musée Jules Desbois, 10 juin-1er novembre 2006, p. 8-9 (bronze, H. 9cm), repr.
 

Le Silence, une œuvre née de 14-18

À partir de 1914, Charles Malfray, mobilisé dans l’artillerie à Nancy, fait la guerre dans les tranchées. Dans plusieurs textes, dont des carnets écrits sur le front, le sculpteur relate l’horreur vécue par l’ensemble des soldats : « Plus de personnalités, mais deux lignes de tranchées sur des centaines de kilomètres et le silence et la solitude quand les obus ne tombent pas et l’enfer quand les obus tombent »[1].
 
Pendant cette période difficile que Malfray sculpte la première version de son Silence dans un petit morceau de bois[2] qui lui sert de boîte à médicaments. « La tradition rapporte que l’artiste portait toujours sur lui, ou près de lui, à la manière d’un talisman, l’esquisse, aujourd’hui égarée, de cette statuette. »[3]
 
À la fin de la guerre, très affaibli après avoir été gazé à de nombreuses reprises pendant le conflit, le sculpteur part se faire soigner, dès le mois de juillet 1918, au sanatorium de Larressore (Pyrénées-Atlantique). Durant sa convalescence, il modèle cette fois Le Silence en terre : il mesure autour de 10 cm. À partir de cette terre, Malfray va éditer une version sans roc et une version avec roc. Il est probable que la version avec roc soit apparue « accidentellement », au moment du démoulage de l’œuvre hors d’un moule à pièces. Malfray a peut-être jugé que le morceau de moule dépassant derrière la figure donnait l’idée d’une paroi et évoquait ainsi les murs de terre des tranchées contre lesquels les soldats se blottissaient au moment des coups de feu.
 
Les deux petites versions du Silence, avec et sans roc, sont donc éditées en terre cuite et en bronze. En terre cuite, le nombre exact d’exemplaires demeure inconnu : il est possible que Malfray ait mené l’édition lui-même et qu’elle ne soit pas posthume. Sa correspondance avec son ami le sculpteur René Andréi (1906-1987) atteste par exemple qu’il souhaitait éditer sa figure du Printemps (1936) en terre cuite, et en dimensions réduites.
 
La version sans roc du Silence a fait l’objet d’un agrandissement posthume à 40 cm pour une édition en bronze. La version avec roc  du Silence a elle aussi été agrandie de manière posthume à 30 cm et à 50 cm pour des éditions en bronze. Un exemplaire en plâtre du Silence (30 cm, avec roc) est conservé dans les collections du musée national d’art moderne à Paris (Inv. AM 938 S), tandis qu’un exemplaire en bronze (40 cm, sans roc) se trouve dans les collections du musée des Beaux-Arts d’Orléans (Inv. 998-18-1).
 

Le Silence, un portrait moderne des blessures de la Grande Guerre

Le Silence se distingue des autres œuvres de Malfray traitant de la guerre. En effet, La Gloire couronnant le Soldat (Orléans, Monument aux morts, 1922-1929), ou La traversée de la Marne (1916) figurent des allégories ou des scènes observées, alors que dans le Silence, le symbolique prime. Dans son dépouillement, ce corps recroquevillé, qui tente de se protéger, suggère bien la violence déchaînée, le bruit assourdissant, et la solitude de chacun des combattants face à l’imminence du danger mortel. Le sculpteur retranscrit fidèlement ce qu’il a ressenti : l’angoisse qui engendre le repli, l’oppression incessante des horreurs de la guerre. Malfray exprime le drame humain avec la même vérité que Daumier dans son relief des Emigrants, réalisé vers 1850[4].
 
La figure repliée sur elle-même, contrainte dans la forme du bloc, est un thème de la modernité en sculpture : Derain le traite en 1907 avec la Figure accroupie (pierre, Vienne, Museum Moderner Kunst Stiftung Ludwig, Inv. P 45/0) ou Manolo en 1923 avec la Femme nue accroupie (pierre, Grenoble, musée d’art moderne).
 
« Malfray respecte le bloc, ce n’est que dans les bornes fixées par lui à son œuvre qu’il laisse s’épanouir le mouvement ; ce mouvement il semble qu’il veuille, en le bridant, le rendre plus nerveux, plus tendu. La figure se présentera comme une unité pesante dans son volume arrêté. Cette façon de composer qui s’observera bientôt dans les figures de la base du monument d’Orléans, je la vois annoncer par une petite sculpture que Malfray exécuta en 1918 et qu’il aimait caresser de la main, lorsqu’avec lui, je passais en revue, dans l’atelier, ses œuvres anciennes. Il appelait cette figure, aux bras et aux jambes repliés, la Boule, et il semblait s’être évertué dans cette terre cuite à réagir contre l’excès de gesticulation de Bourdelle. »[5]
 
Avec une nette économie des moyens plastiques mis en œuvre, le Silence livre un portrait symbolique poignant des soldats des tranchées. Quant à la puissance contenue dans le « bloc » de cette sculpture, elle deviendra l’une des caractéristiques stylistiques de Malfray. Le Silence est sans conteste l’un des premiers chefs d’œuvre du sculpteur.

[1] Malfray, lettre manuscrite sur l’Effroi, Orléans, centre de documentation – bibliothèque du musée des Beaux-Arts.
[2] Dubois (1980, Romorantin-Lanthenay) parle d’un bois taillé. Cette première œuvre est perdue.
[3] Eric Moinet, « Acquisitions », Revue du Louvre. La Revue des musées de France, n°5, décembre 1999, p. 87.
[4] Honoré Daumier (1808-1879), Les Fugitifs ou Les Emigrants, 1855-1856, Moulage en plâtre d’après un original en terre, 66 x 28 cm, Paris, musée national de l’histoire de l’immigration.
[5] Jacques de Laprade, Malfray, édition Fernand Mourlot, Paris, 1944, p. 17-18.