René Babin

La Grenade c. 1959

Épreuve en terre cuite, n°1/8
Signé : R. Babin
H. 79 ; L. 35 ; P. 42 cm

Provenance

  • France, collection particulière

Bibliographie

  • 3 Parisskulptörer, Stockholm, Färg och Form, 24 avril – 22 mai 1970, repr. (probablement bronze ; numérotation inconnue ; probablement H. 79 cm)
  • Hommage à Auguste Renoir et à Marcel Gimond, Maisons Alfort, mairie, 12 – 30 mai 1971, repr. 
  • Barbonval 89, exposition de quatre sculpteurs, Barbonval, église, 1989, p.9, repr. (probablement bronze ; numérotation inconnue ; probablement 79 cm)
  • Patrice Dubois, René Babin, Paris, Assurances Axa, avenue Matignon, octobre – novembre 2001, p. 2, repr. (bronze à patine dorée ; numéroté 1/8 ; H. 20 cm)
« Nous ne pouvons échapper à une très profonde émotion devant l’art de René Babin. / Dans la puissance du silence, la Force, l’Équilibre, la Lumière et la Tendresse qui irradient de cette œuvre, nous inondent de leurs vibrations et répondent à notre soif de beauté. / Le rythme de chacune de ses sculptures, de chacun de ses dessins, s’harmonise au rythme de la vie et crée selon les termes de Pierre Vintéjoux « ce frémissement qu’il insuffle à ses œuvres ». / (…) René Babin s’abreuve à la source même de son âme qui en de tels moments devient source de la véritable inspiration, puisque rien ne la sépare alors de l’âme universelle. / Et notre émotion est complète et c’est pour nous une grande leçon, lorsque nous constatons que l’humilité de René Babin est égale à la beauté de sa création. »[1]
 
I / Genèse et Diffusion
René Babin visite dans sa jeunesse l’atelier du fondeur d’art Auguste Giannini. Cette rencontre décisive va influencer la carrière du jeune garçon : il entre en 1935, dans l’atelier du sculpteur Robert Wlérick (1882-1944) à l’École supérieure des arts appliqués Duperré à Paris. Il y rencontre Jean Carton (1912-1988), Simon Goldberg (1913-1985) et Raymond Martin (1910-1992). Il y reste trois ans, puis poursuit sa formation dans l’atelier de Charles Malfray (1887-1940), chargé des cours de dessin du soir depuis 1934. Ce dernier aura une influence considérable sur son art.
 
La Grenade représente une femme nue, assise, et recroquevillée sur elle-même. Le dos droit, la jambe gauche repliée contre sa poitrine, elle tient son pied droit avec sa main droite de façon à en positionner la plante face au spectateur.
 
En l’état actuel de nos connaissances, seule une autre épreuve en terre cuite de La Grenade est localisée (elle porte le numéro 2/8). Cette édition en terre procède de la pierre (non localisée) : il en est de même pour l’édition en bronze. L’une de ces épreuves en bronze (à patine dorée) de La Grenade, a été achetée par l’État par arrêté du 24 août 1977, et mise en dépôt au ministère de la Défense dans l’appartement du Général Saulnier par arrêté du 24 septembre 1985 (Inv. FNAC 9997)[2]. Cette dernière a probablement été tirée du même moule que notre épreuve en terre cuite, obtenu à partir de la sculpture originale en pierre. Ce type de moulage sur pierre a été effectué pour d’autres sculptures de René Babin, et notamment pour La Dormeuse, de 1969.
 
Par ailleurs, il existe une autre version de La Grenade : il s’agit d’un modèle légèrement différent et plus petit (20 cm de hauteur), les proportions du corps sont beaucoup moins massives, et les traits de la figure y sont plus délicats. L’œuvre présente également moins de détails. En effet, les deux jambes de la jeune femme, ainsi que le bras tendu qui tient le pied, ne se différencient plus, et se confondent à travers une seule et même forme sphérique, rappelant alors la forme ronde et pulpeuse du fruit. Une épreuve en bronze à patine dorée de cette édition était présentée lors de la rétrospective René Babin organisée en 2001 par les Assurances Axa à Paris, avenue Matignon[3].
 
II / Le sens et la forme
La sculpture de René Babin se concentre sur l’étude des formes et des différentes poses que peut adopter le corps féminin. En 1992, à l’occasion de l’exposition rétrospective de ses œuvres à la Fondation Taylor, Babin déclare à son interlocuteur, lors d’une émission de radio : « Mon propos, c’est les formes, la femme dans des attitudes diverses et beaucoup de dessins. »[4]
 
Dans La Grenade, le sujet est au service de la forme. Ce parti pris est amorcé par l’artiste dès le début des années 1950, avec Femme assise pensive, ou encore Femme nue assise à la Michel-Ange. Dans les deux cas, le sculpteur ne cherche pas à réaliser le portrait de la jeune femme qui pose mais il s’intéresse à la posture et aux rythmes plastiques.
 
Cette recherche se poursuit avec la figure de La Chanson Douce en 1953, qui s’inscrit parfaitement dans un parallélépipède. Le motif de la femme se tenant le pied apparaît alors pour la première fois dans l’œuvre de Babin ; il est utilisé à nouveau pour La Grenade.
 
A l’instar de La Chanson Douce, la figure est toute entière contenue dans un cube rappelant le bloc de pierre. Les traits de la jeune femme sont esquissés, stylisés. La figure féminine est pulpeuse, une manière pour le sculpteur de faire référence au fruit exotique qui donne son nom à l’œuvre. « Comme ses maîtres de prédilection, romans ou gothiques, René Babin avait l’art de bloquer ses figures dans des plans simples, ceux qui s’avèrent les plus efficaces et les plus expressifs. Assise, le pied dans une main, dans une attitude qui accroît la force de sa germination plastique, la Grenade, ainsi qu’il avait choisi de l’appeler, est comme un de ces fruits splendides, sur le point d’éclore. Le buste, mouvementé, au point de dégager dans son mûrissement sauvage une sensation de piment, a l’éclat de ces formes gorgées de sève. »[5]
 
Avec cette figure recroquevillée, c’est une composition emblématique de la sculpture du début du XXe siècle que Babin s’approprie. Un autre tailleur de pierre la traite aussi dans un style primitif : il s’agit d’André Derain et de son Homme accroupi de 1907. Mais le canon féminin aux formes amples de la Grenade rappelle surtout le Silence de Charles Malfray[6], une sculpture réalisée pendant la guerre, entre 1916 et 1918. Cette œuvre est un portrait allégorique du soldat de la guerre des tranchées. Le dos du personnage s’intègre dans un roc, venant ainsi amplifier l’idée d’angoisse et d’étouffement de l’homme acculé par l’horreur de la guerre. Si La Grenade s’inscrit dans la filiation des figures recroquevillée du XXe, ce qu’elle exprime est en revanche aux antipodes de la dimension d’angoisse et de mal-être contenue dans les autres. Car La Grenade n’est pas renfermée sur elle-même. Elle a le visage levé, elle s’offre au monde, souriante et mystérieuse, pulpeuse et énigmatique.

[1] Simone Veliot, René Babin : Sculptures, Dessins, Aquarelles, Salon de la Rose – Croix A. M. O. R. C., Paris, 15 novembre – 29 décembre 1984.
[2] René Babin, La Grenade, vers 1977, épreuve en bronze, numéroté 1/8, 83 x 44 x 35 cm, Inv. FNAC 9997.
[3] René Babin, La Grenade, bronze à la cire perdue, patine dorée, signé et numéroté 1/8 à droite sur la terrasse, cachet à l’arrière du fondeur Valsuani, H. 20 cm, in Patrice Dubois, René Babin, Paris, Assurances Axa, avenue Matignon, octobre – novembre 2001, p. 2.
[4] René Babin, Philippe Lejeune, émission du 10 novembre 1992 sur Radio Courtoisie.
[5] Patrice Dubois, René Babin, Paris, Assurances Axa, avenue Matignon, octobre – novembre 2001, p. 2.
[6] Charles Malfray, Le Silence, 1918, Plâtre, Inscrit sur le côté : Ch. M., 29 x 19 x 18 cm, Paris, Musée national d’art moderne, Inv. AM 938 S.