Jacques Lucien Schnegg

La République 1909

Epreuve en bronze à patine dorée
Fonte au sable, sans marque de fondeur
Signé : Lucien Schnegg
H. 102 ; L. 65 ; P. 30 cm

Bibliographie

  • La bande à Schnegg, catalogue d’exposition du musée Bourdelle, juin-septembre 1974, éd. Musée Bourdelle, Paris, repr. n°15, pl. XXII.
  • Frédéric Damay, « Lucien Schnegg sculpteur, sa vie, son œuvre », Etudes Touloises, n°81, 1997.
  • Jean Alazard, « Lucien Schnegg et la sculpture française contemporaine », Gazette de Beaux-Arts, tome XIII, 1935, 1er semestre.

 

Œuvre tardive de Lucien Schnegg - il y travaille au cours de la dernière année de sa vie -, La République est créée pour un concours organisé par Le Journal en juin 1909. Rodin, pour qui Schnegg travaille en tant que praticien depuis 1902, fait partie du jury. Schnegg lui écrit au sujet de sa sculpture, qu’il l’a « exécutée amoureusement avec le plus grand désintéressement au concours. »

Le sculpteur a une conception monumentale de son art, qu’il rêve harmonieusement intégré à l’architecture. Cependant, pour lui, « (…) la grandeur naît des proportions et non des dimensions »[1]. Schnegg s’illustre par ailleurs dans l’art du buste, ses modèles sont souvent issus de son entourage proche car il aimait les observer longuement. C’est le cas du buste de Jane Poupelet[2], un chef d’œuvre véritable. « Fidèle à la tradition des meilleurs portraitistes français, il en recherchait la structure fondamentale et les contours essentiels. »[3]

Le buste de La République est une belle démonstration de ces deux aspects de l’art de Schnegg. Il se caractérise par une simplicité des plans, une attention portée à la ligne et un modelé lisse et abouti. Ainsi Schnegg parvient à insuffler la vie sur ce visage qui accueille la lumière sans heurts.

Sculpteur très doué, il est praticien chez Rodin dont il subit l’influence mais - à la différence de nombreux autres artistes évoluant dans l’entourage du maître – il parvient à en dépasser l’ascendant. Avec d’autres sculpteurs comme Charles Despiau ou Alfred-Jean Halou, ils préconisent de se détacher de l’art exalté et lyrique du maître pour préférer une réinterprétation de l’antique et s’approcher d’un idéal de calme, de sérénité et de dépouillement. Devenu, malgré lui, un véritable théoricien de l’art, il s’impose comme le chef de file de ce groupe de sculpteurs indépendants que la critique nomme « la bande à Schnegg ».

Illustration parfaite de ces conceptions stylistiques, La République est incarnée par une femme fière et déterminée aux traits à la fois délicats, vigoureux et harmonieux. Elle présente une beauté calme et intemporelle, « à l’Antique ». L’artiste a formé son regard en admirant les Antiquités au musée du Louvre mais il est aussi marqué par les sculptures françaises du XVIIIe siècle ou les marbres florentins du Quattrocento, dont on retrouve, dans La République, la composition en « buste à l’italienne ».

En même temps qu’elle est une composition plastique admirable, La République est une œuvre symbolique.

Coiffée d’un imposant bonnet phrygien cette figure allégorique de la République est une Marianne. Elle représente ainsi implicitement les valeurs républicaines françaises : Liberté, Egalité, Fraternité.

Le bonnet phrygien est un symbole révolutionnaire de la Liberté hérité de l’Antiquité romaine. A l’origine, il est la coiffe typique des habitants de Phrygie, ancien pays d’Asie Mineure ; puis, sa ressemblance avec le pileus[4], porté par les esclaves affranchis de l’Empire romain, lui vaut sa portée symbolique. De part et d’autre du visage, deux cocardes agrémentent la partie inférieure du bonnet. Elles sont le symbole révolutionnaire du Patriotisme et présentent traditionnellement les trois couleurs de la République : Bleu, Blanc, Rouge. Enfin, le bonnet est orné de deux rameaux de laurier. A la fois symbole des Arts et des Lettres et de la Victoire quand il est porté en couronne, il est également un héritage de l’Antiquité romaine.

Contrastant avec la lourde coiffe chargée d’attributs symboliques, la légère tunique qui recouvre le haut du buste comme une seconde peau, laisse apparaître les seins. Traditionnellement, le sein dénudé ou mis en valeur par un drapé symbolise l’aspect nourricier.

Lucien Schnegg fait ainsi le choix de représenter La République en mettant l’accent sur son origine révolutionnaire et ses racines antiques.

Cependant l’aspect révolutionnaire reste discret. Seuls les attributs symboliques l’évoquent mais pas l’attitude calme. Pour illustrer ce propos, il est intéressant de comparer cette œuvre au Buste de La République créé par Alfred-Jean Halou, contemporain et proche de Lucien Schnegg. La figure y apparaît beaucoup plus volontaire, tendue vers des idéaux, et beaucoup moins intemporelle et confiante que celle-ci.

L’un des plus grands admirateurs de la sculpture fut Rodin, qui s’en disait amoureux.

Aux obsèques de Schnegg, il écrit dans la préface du livre de tombola qu’il organise alors en faveur de la veuve et des enfants[5] du défunt : « (…) Lucien Schnegg a eu le courage d’être un vrai sculpteur, il a tant tiré de lui-même, à la façon des réformateurs. Il a laissé des œuvres de chemin, de plus belles encore, puis un chef-d’œuvre plein : Le buste de la République. (...) ». Un autre jour, il témoigne encore : « Lucien Schnegg était un grand artiste qui vient, malheureusement, de mourir trop tôt et, au moment où il allait avoir le résultat de ses travaux remarquables, dont un de ses derniers, le buste de La République, est un chef-d’œuvre. Certainement, il aurait été l’un des plus grands sculpteurs de son époque (…). »[6]

A l’instigation de Rodin encore, une rétrospective des œuvres de Schnegg est organisée au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts de 1910. La figure de La République y figurait en plâtre.

Puis, c’est le bronze qui est exposé au Musée Bourdelle en 1974 à l’occasion de l’exposition « La bande à Schnegg »[7].

Il est probable que cet exemplaire soit le seul bronze existant.


[1] Schnegg cité par Louis Vauxcelles dans Gil Blas, 1909.

[2] Jane Poupelet, 1897, marbre, signé, 38 x 27,5 x 17,5 cm, Paris, musée d’Orsay (RF 3293).

[3] Alazard, 1935, p.117.

[4] Signifie « chapeau » en latin.

[5] À la galerie Georges Petit.

[6] Cité dans Frédéric Damay, art. 1997.

[7] Décrite ainsi : La République. Bronze sur socle bronze 1,02 m. S. Lucien Schnegg à dr. Coll. Mme Freyman.