Jane Poupelet

Repas de lapins

Brou de noix
Signé : Jane Poupelet
24,8 x 31,6 cm

Provenance

  • France, atelier de l’artiste

Bibliographie

  • 1914 DILIGENT : R. Diligent, « Au Salon de la Nationale. Une visite à la sculpture », in Le Bonnet rouge, 19 avril 1914, p. 2.
  • 1930 KUNSTLER : Charles Kunstler, Jane Poupelet, Paris, Éditions G. Crès et Cie, 1930.
  • 1933 WALDEMAR-GEORGE : « L’Actualité artistique », in La Revue mondiale, n°3, mars 1933, p. 67-68.
  • 1934 CAMPAGNAC : Edmond Campagnac, « Femmes sculpteurs », in Le Matin, 8 avril 1934, p. 4.
  • 1935 L. P. : « Bronzes et dessins de Jane Poupelet présentés au Luxembourg », in Le Petit Journal, 19 janvier 1935, p. 9.
  • 1982 BOURDANTON : Pierrette Bourdanton, « Pour un hommage au grand sculpteur Jane Poupelet », in Revue des artistes français, n°9, janvier 1982, p. 8-9.
  • 2003 DUMAINE : Sylvie Dumaine, Les dessins de la statuaire Jane Poupelet (1874-1932), collection de dessins déposée à Roubaix, La Piscine, musée d’art et d’Industrie-André Diligent, mémoire de maîtrise sous la direction de Frédéric Chappey, Université de Lille III, 2003.
  • 2005 CATALOGUE : Anne Rivière (sous la direction de), Jane Poupelet 1874-1932, catalogue d’exposition [Roubaix, La Piscine-musée d’Art et d’Industrie André Diligent, 15 octobre 2005 – 15 janvier 2006, Bordeaux, musée des beaux-arts, 24 février - 4 juin 2006, Mont-de-Marsan, musée Despiau-Wlérick, 24 juin – 2 octobre 2006], Paris, Éditions Gallimard, 2005.
« M’émerveillerai-je jamais assez des bêtes »[1]
 
I / CONTEXTE DE CRÉATION ET FORMATION ARTISTIQUE
            Jane Poupelet dessine dès son plus jeune âge. Alors qu’elle est envoyée en pension à Bordeaux à l’âge de 8 ans, en 1882, c’est avec une « vieille demoiselle »[1] qu’elle se forme à l’art du dessin pendant plus de dix ans. Ses efforts sont récompensés en 1892 avec l’obtention d’un certificat d’aptitude pour l’enseignement du dessin dans les écoles. La même année, elle s’inscrit à l’École municipale des beaux-arts et des arts décoratifs. En plus d’être la première femme à y être admise, elle est aussi l’une des premières, avec cinq autres femmes, à pouvoir suivre les cours d’anatomie et assister aux dissections de la faculté de médecine de Bordeaux. En 1895, ses études sont couronnées d’un diplôme du gouvernement de Professeur de dessin. Avec ce second diplôme en poche, la jeune femme se rend à Paris entre la fin de l’année 1896 et le début de l’année 1897 : elle y esquisse les monuments parisiens et leurs décors et accumule de nombreux carnets de croquis. Pourtant, ce qui va l’intéresser tout particulièrement au début du XXe siècle, en plus du corps féminin, ce sont les animaux.
 
II / « CHAT, LAPIN, COQ, CANARD… »[2]
La famille de Jane Poupelet possédait un vaste domaine agricole à Clauzure, en Dordogne périgourdine, où la sculptrice était née. Elle conserve pour ce lieu une véritable affection, qui ne la quitte jamais vraiment. Même après son départ pour la capitale, Jane Poupelet retourne fréquemment dans sa région natale, partageant son temps entre Paris et le domaine familial de La Gauterie.
 
C’est cet amour des bêtes qui lui vaudra la reconnaissance de la critique. À partir de 1906, seulement 7 ans après ses débuts au Salon[3], elle présente ses premiers animaux : Cinq chats au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts en 1906 ; une Vache rentrant à l’étable et un Ânon au Salon d’Automne en 1907, Ânon qui sera régulièrement reproduit dans la presse tout au long de sa carrière. Déjà en 1914 un critique se plaint de ne pas voir ses œuvres animalières assez exposées : « Quand donc Mlle Poupelet nous fera-t-elle le plaisir de réunir en une petite exposition la série de ses petits animaux. Je me souviens de quelques-uns : canards, vache, que j’aimerais bien revoir. »[4] Ce même amour lui fera fonder en 1931, avec François Pompon (1855-1933), le « groupe des XII », réunissant plusieurs artistes animaliers dont Georges Guyot (1885-1972), Georges Hilbert (1900-1982) ou encore Paul Jouve (1878-1973) pour ne citer que quelques noms.
 
Jane Poupelet se passionne pour les animaux de la ferme, comme le montrent ces multiples croquis de lapins. À peine esquissés ou très travaillés, de face, de trois-quarts ou de profil, oreilles dressées ou tout simplement baissées, la sculptrice laisse voir les différentes étapes du cheminement de ces lapins au moment du repas. Terriblement vivants, démultipliés à l’infini, ces derniers semblent remuer leurs petits museaux dans ce mouvement si caractéristique qui leur est propre avant de bondir quelques pas plus loin, ou de replonger la tête dans leur mangeoire. C’est là que réside toute l’ambiguïté et la puissance de l’art de Poupelet : elle immortalise le vivant, l’éphémère, croqué sur le vif en un instant. L’animal est placé dans un espace neutre, ce qui lui donne toute son importance et sa majesté.
 
Edmond Campagnac, dans un article de 1934, cite le maître Auguste Rodin (1840-1917) pour expliquer la démarche de la sculptrice : « Selon Rodin « l’artiste digne de ce nom… scrute l’esprit replié de l’animal, ébauche de sentiments et de pensées, sourde intelligence, rudiments de tendresse, il perçoit toute l’humble vie morale de la bête dans ses regards et dans ses mouvements. » Poupelet est donc une artiste digne de ce nom. »[5] Waldemar-George, lui, évoque une connexion particulière de Poupelet avec ses modèles : « Amie des bêtes, l’artiste s’incorporait à elles. Si j’osais me servir d’une image, je dirais qu’elle « écoutait leurs voix » et qu’elle les auscultait. Cette intelligence de nos frères inférieurs nous a valu des œuvres qui offrent peut-être certaines analogies avec les descriptions qu’en fait Mme Colette. Colette rend perceptible aux yeux du spectateur les gestes de l’animal. Jane Poupelet surprend tous ses secrets. »[6]
 
La sculptrice s’est particulièrement intéressée à la figure du lapin dans son œuvre. De par la donation des sœurs de l’artiste à l’État en 1934, le musée national d’art moderne conserve dans ses collections plus de 64 dessins et 12 sculptures de Jane Poupelet. Parmi ceux-ci, deux dessins au sépia, tous deux datés de 1909 et intitulés Études de lapins[7]. Ceux-ci sont par ailleurs très similaires dans leur composition au dessin que nous présentons ici : le premier immortalise, lui aussi, des « lapins au repas », tandis que le second comporte de multiples esquisses de lapins dans des positions différentes sur la totalité de la feuille de papier. Deux autres dessins multipliant les croquis de lapins sont conservés dans les collections du Metropolitan Museum à New York : Crouching Rabbits[8] et Rabbits (recto) ; Studies of Rabbits (verso)[9]. On connaît également de nombreuses autres variations de ce thème du Repas de lapins. Une première version, simplement intitulée Lapins, est reproduite dans l’ouvrage de Charles Kunstler, Jane Poupelet, publié en 1930[10]. Trois autres versions, toutes en collections particulières, ont été identifiées par les auteurs du catalogue de l’exposition Jane Poupelet 1874-1932 en 2005 ; deux d’entre elles y sont reproduites[11].
           
L’artiste a également traité le sujet en sculpture, comme dans son Lapin allongé (1930) conservé au musée national d’art moderne[12], ou encore dans son Lapin à l’oreille dressée (1905), dont un premier exemplaire est conservé dans les collections de l’Art Institute de Chicago[13], et un second exemplaire est en dépôt au musée des beaux-arts et de la dentelle de Calais[14]. D’autres sculpteurs se sont également beaucoup inspirés de la figure du lapin. Citons par exemple le Lapin de François Pompon[15], ou encore celui de Roger Godchaux (1878-1958)[16], tous deux conservés au musée d’Orsay.
 
III / LE DESSIN CHEZ JANE POUPELET
Le dessin tient une place majeure dans la production artistique de Jane Poupelet. Rarement étude préparatoire, il est une œuvre autonome et à part entière.
           
Ce dessin mêle deux caractéristiques principales : des inspirations classiques, et un traitement moderne. Les éléments classiques sont puisés par la sculptrice dans les papyrus égyptiens et dans les estampes japonaises, des civilisations qui se sont tout particulièrement intéressées au monde animal. La modernité, elle, se retrouve dans les éléments plus techniques de ce dessin : l’équilibre des masses, la construction de l’ensemble, mais aussi surtout les jeux d’ombres et de lumière savants qui permettent à l’artiste de mieux faire ressortir le modelé de l’animal. De fait, il faut savoir que plus qu’un dessin, c’est à un dessin de sculpteur auquel nous avons affaire. Comme l’explique Patrice Dubois : « Qu’est-ce qui caractérise le dessin de sculpteur ? Le sens de la forme vivante conçue à travers le modelé dans la profondeur de l’espace. L’articulation des volumes s’intègre dans une architecture à laquelle la lumière donne toute son importance. C’est cette synthèse des volumes, des plans et de la lumière, atteinte à partir des réalités visibles, qui confère aux dessins de sculpteurs leur spécificité. »[17]
 
Enfin, autre caractéristique notable des dessins de Poupelet : l’amour de l’inachevé. Autour des lapins centraux travaillés au brou de noix, technique souvent utilisée par la sculptrice, on observe çà et là diverses esquisses : des silhouettes au contour quasiment continu, des études plus anatomiques de têtes et de crânes de lapins, où seules les ombres sont indiquées à l’aide de quelques hachures… Sylvie Dumaine, qui a étudié les dessins de la sculptrice, livre sa réflexion sur la place de l’inachevé dans ses œuvres graphiques : « Après avoir saisi l’éphémère de la femme ou la placidité bovine, Jane Poupelet s’entraîne à croquer la volaille ou le lapin par exemple, qu’elle démultiplie sur une même feuille dans des positions et des activités variées comme s’il s’agissait d’honorer, en tous sens, l’animal dans ses frasques imprévisibles, sa spontanéité, sa joie de vivre. Le motif se répète à profusion pour tenter de trouver le ton juste dans un désordre scrupuleusement organisé. Et si Jane Poupelet avait inventé le clonage, portée par la conviction que c’est dans l’usure du thème que s’achèvera le sujet ? Mais ici, il semble toujours inassouvi et l’humour affleure. Après le silence du bœuf qui intimide, c’est la joyeuse cacophonie qui résonne. » [18]

[1] 2005 CATALOGUE, p. 13.
[2] 1935 L. P., p. 9.
[3] Jane Poupelet expose pour la première fois au Salon de la Nationale des Beaux-Arts en 1899 sous le pseudonyme masculin de « Simon de La Vergne ».
[4] 1914 DILIGENT, p. 2.
[5] 1934 CAMPAGNAC, p. 4.
[6] 1933 WALDEMAR-GEORGE, p. 68.
[7] Jane Poupelet (1874-1932), Études de lapins, 1909, sépia, 24,5 x 30 cm, Paris, musée national d’art moderne (Inv. AM 1151 D) et Jane Poupelet (1874-1932), Études de lapins, 1909, sépia, 20 x 26 cm, Paris, musée national d’art moderne (Inv. AM 1152 D).
[8] Jane Poupelet (1874-1932), Crouching Rabbits, v. 1925, encre et lavis sur papier, 21,7 x 25,9 cm, New-York, Metropolitan Museum (Inv. 58.18.3).
[9] Jane Poupelet (1874-1932), Rabbits (recto) ; Studies of Rabbits (verso), v. 1925, encre et lavis sur papier, 19,9 x 25,5 cm, New-York, Metropolitan Museum (Inv. 58.18.2ab).
[10] 1930 KUNSTLER, NP, n°19.
[11] Voir les n°244, 245 et 246 in 2005 CATALOGUE, repr. p. 81, 127.
[12] Jane Poupelet (1874-1932), Lapin allongé, 1930, épreuve en bronze, 8,5 x 33,5 x 12,5 cm, Paris, musée national d’art moderne (Inv. AM 567 S).
[13] Jane Poupelet (1874-1932), Lapin à l’oreille dressée, v. 1909, épreuve en bronze, 10,3 x 10,5 x 6,7 cm, Chicago, the Art Institute (Inv. 1927.367).
[14] Jane Poupelet (1874-1932), Lapin à l’oreille dressée, 1905, épreuve en bronze, 10 x 12 x 7 cm, Calais, musée des beaux-arts et de la dentelle (Inv. AM 568 S).
[15] François Pompon (1855-1933), Lapin, 1920, plâtre patiné, 12,7 x 4,5 x 10 cm, Paris, musée d’Orsay (Inv. RF 4253).
[16] Roger Godchaux (1878-1958), Lapin, entre 1905 et 1940, épreuve en bronze, 18,5 x 20,5 x 10,9 cm, Paris, musée d’Orsay (Inv. RF 3706).
[17] Dessins de sculpteurs, catalogue d’exposition [Paris, Galerie Malaquais, 4 novembre – 24 décembre 2005], Paris, Leconte Montrouge, p. 6.
[18] Sylvie Dumaine, « Le dessin chez Jane Poupelet », in 2005 CATALOGUE, p. 81.