Charles Malfray

L'Africaine 1933

Épreuve en bronze, EA
Fonte à la cire perdue Attilio Valsuani
Signé : C. M
H. 18 ; L. 3,5 ; P. 4,5 cm

Source

  • 1971, GALLE : Galle, Françoise, Catalogue raisonné des sculptures de Charles Malfray, mémoire de DESS, université de Paris I, direction de Robert Julien, 1971, n°98-101, p. 76.

Bibliographie

  • 1938, ROSTRUP: Rostrup, Haavard, « Malfray », Nyt Tidsskrift for Kunstindustri, Stockholm, février 1938.
  • 1944, CATALOGUE : Paris, galerie Parvillée, Charles Malfray 1887-1940, Paris, 1944.
  • 1944, DE LAPRADE : De Laprade, Jacques, Malfray, édition Fernand Mourlot, Paris, 1944.
  • 1947, CATALOGUE : Paris, musée du Petit-Palais, Charles Malfray, Paris, 1947.
  • 1948, CATALOGUE : Paris, galerie Edmond Guérin, Charles Malfray 1887-1940, Paris, 1948.
  • 1951, CATALOGUE : Londres, Marlborough Gallery, Charles Malfray 1887-1940, Londres, 1951.
  • 1967, CATALOGUE : Orléans, musée des Beaux-Arts, Hommage à Charles Malfray, Orléans, 1967.
  • 2007, CATALOGUE : Paris, galerie Malaquais, Charles Malfray 1887-1940 sculpteur, Paris, 2007.

Expositions

  • Charles Malfray 1887-1940, Paris, galerie Parvillée, avril-mai 1944, n°13.
  • Charles Malfray, Paris, musée du Petit-Palais, juin 1947, n°34 (H. 18 cm, bronze), n°35 (H. 55 cm, bronze).
  • Charles Malfray 1887-1940, Paris, galerie Edmond Guérin, 16 février-31mars 1948, n°28 (H. 55 cm, bronze, numéroté 1/8), n°48 (H. 18,5 cm, bronze, numéroté 1/8).
  • Charles Malfray 1887-1940, Londres, Marlborough Gallery, septembre-octobre 1951, n°7 (H. 55 cm, bronze).
  • Hommage à Charles Malfray, Orléans, musée des Beaux-Arts, 2 septembre-9 octobre 1967, n°17 (H. 115 cm, plâtre original).
  • Charles Malfray 1887-1940 sculpteur, Paris, galerie Malaquais, 5 avril-30 juin 2007, n°18 (H. 56 cm, plâtre).

 

Contexte de création

Le début des années 1930 est une période difficile dans la carrière de Charles Malfray. Les scandales provoqués par les monuments aux morts de Pithiviers (1920) et d’Orléans (1922-1929) ont plongé l’artiste, incompris, dans une profonde détresse émotionnelle, accentuée par le décès prématuré de son frère Henri, au début de l’année 1932. À cela s’ajoute le fait que son son Buste de la Beauce n’est pas sélectionné à l’occasion du concours pour la figure de la République lancé par l’état en juin 1932.
 
Malgré ces nombreux obstacles, le sculpteur continue d’affirmer son style particulier. Dès l’année suivante, il poursuit ses travaux avec sa persévérance habituelle et entre dans une phase moins bousculée de sa création, où ses œuvres reçoivent l’accueil qu’elles méritent. Ainsi, de 1933 à 1940, Malfray entre dans son plein épanouissement artistique et est gratifié de commandes publiques à partir de 1936 grâce au soutien de Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale. Tout cela s’arrête à la mort soudaine de l’artiste en 1940.

Dès 1930, Aristide Maillol (1861-1944), défenseur et ami du sculpteur orléanais, lui demande de s’occuper de son cours de modelage à l’Académie Ranson : ce travail lui plaît et ses élèves apprécient la qualité de son enseignement. Cette même année, la Galerie Pacquereau (Paris) organise sa première exposition personnelle en octobre 1930.

À cette période, Malfray travaille à de nombreux projets décoratifs : des bandeaux de cheminées, ou encore des émaux, des œuvres qui sont donc généralement de petites dimensions. C’est dans ce contexte que s’inscrit la création de L’Africaine, anciennement appelée La petite Négresse.

Mouvement et Immobilité

Cette petite statuette représente une jeune fille nue. Debout, elle se tient sur un petit monticule, pieds vers l’avant sur sa pente, les orteils dans le vide. Pourtant, la jeune fille se tient parfaitement droite et son équilibre ne semble pas impacté par cette position. Dans son visage aux traits à peine esquissé, son regard porte loin devant elle. Ses belles cuisses rondes, la courbe de sa poitrine et de ses fesses, tout comme sa chevelure crépue, permettent de reconnaître en elle une jeune femme africaine. Les bras plaqués le long du corps, tous ses muscles tendus, elle apparait telle une statue-colonne ou une caryatide.

Malfray possède en effet une affinité prononcée pour l’art architectural ; rappelons qu’il a collaboré avec son frère aîné, architecte, pour l’élaboration du Monument aux morts d’Orléans. Par la géométrie rigoureuse de sa posture, L’Africaine se situe dans la lignée des figures d’angles de ce monument. Elle annonce aussi la réflexion sur les plans qui préside à l’élaboration du Printemps, commande d’État de 1936 pour orner le foyer du Palais du Trocadéro. Pour cette dernière, Malfray « déforme le volume pour que la sculpture s’organise logiquement à sa place dans l’espace »[1]. Ainsi, la figure, toujours in situ aujourd’hui, n’est réellement complète qu’une fois entourée des quatre colonnes du foyer.

A l’instar du Printemps et d’autres œuvres de l’artiste, L’Africaine prend une pose hiératique. Le sculpteur réussi toutefois à capturer un mouvement précis, et quasi imperceptible, dans son œuvre : de dos, se remarque un drapé qui couvre l’arrière des jambes de la jeune fille. À peine relié à ses mains, elle semble le lâcher pour se déshabiller. Cet intérêt pour le mouvement et l’immobilité remonte au début des années 1920, lorsque Malfray fait la rencontre de la danseuse d’Isadora Duncan (1877-1927) qu’il dessine. Or, « Malfray est attiré, paradoxalement, par l’aspect statique, c’est-à-dire monumental, des mouvements d’Isadora. D’ailleurs, Malfray, à cette époque, immobilise les formes, bloque les volumes, traduit la tension de la Vie par une force sous-jacente, prête à exploser. »[2]

En 1933, le sculpteur continue cette réflexion sur la capture du mouvement avec les Deux Nageuses, une œuvre réalisée au même moment que L’Africaine. Malfray : « crée un nouveau type iconographique avec le groupe des Deux Nageuses où les formes sont agencées à partir, et autour d’un vide central. Mais il s’efforce aussi d’immobiliser les corps »[3], comme il le fait justement dans la petite Africaine.

Un retour à l'Antique

L’immobilité de cette petite statuette, son élan vertical, les traits ébauchés et la forme triangulaire de son visage ainsi que la ligne en accent circonflexe formée par ses orteils, évoquent une petite idole en lévitation, habitée par une énergie intérieure irradiant vers l’extérieur. Ces caractéristiques se retrouvent par exemple dans l’art des Cyclades des IIIe et IIe millénaires avant Jésus Christ. Cette ancienne civilisation grecque s’épanouit dans l’archipel autour de Délos, produisant de petites idoles en marbre aux formes géométriques très épurées. Leur fonction reste encore énigmatique à ce jour, bien qu’elles aient eu un usage funéraire, et probablement votif.

Cet emploi votif et funéraire se retrouve dans les Tanagras, ces « petites figurines de terre cuite réalisées dans la région de Tanagra aux IVe et IIIe siècles av. J.-C., représentant en particulier des jeunes filles aux formes fines et d’allure très gracieuse. »[4], auxquelles notre œuvre est régulièrement associée. Il est possible de comparer la grâce de L’Africaine à celle des Tanagra[5], même si leurs morphotypes diffèrent et que la civilisation grecque les représentait vêtues. Le critique danois Haavard Rostrup, décrit L’Africaine dans son article de février 1938 comme « une œuvre ravissante de toute beauté, naïve dans sa composition comme une terre cuite grecque, mais composée par de petits déplacements voulus dans les plans et de faibles mouvements qui prêtent à cette petite figure une vie mystérieuse, un rythme de danse se propageant depuis la pose arrondie des pieds jusqu’à la tête, qui semble écouter… »[6].

L’Africaine a tout d’une petite idole, d’une sculpture-talisman dotée de forces magiques et telluriques. Comme à son habitude, il crée une sculpture de petites dimensions (moins de vingt centimètres), dans un format identique à celui de nombreuses tanagra et idoles cycladiques. Elle est ensuite agrandie en deux formats, à 55 cm et à 110 cm.

Même si Charles Malfray s’inspire des canons antiques, il se les réapproprie et donne à voir sa vision personnelle, ancrée dans des volumes ronds et denses. Il crée ainsi une œuvre résolument moderne.

[1] 1944, DE LAPRADE, p. 18.
[2] 1971, GALLE, p. 56.
[3] Ibid, p. 25.
[4] Définition du Centre national de ressources textuelles et lexicales : https://www.cnrtl.fr/definition/tanagra//1.
[5] 1971, GALLE, p. 76.
[6] 1938, ROSTRUP, p. 191.