Charles Despiau

Assia 1936

Épreuve en plâtre
Dédicacé et signé : « A Georges Wildenstein / bien cordialement / C. Despiau »
H. 184 cm

Provenance

  • Atelier de l’artiste
  • Collection Georges Wildenstein
  • Collection particulière française
Figure dans le catalogue raisonné de l’artiste par E. Lebon sous le numéro : Cat.125-2(2)P(g)
 

Bibliographie indicative

  • 1934 GUENNE : Jacques Guenne, « Charles Despiau », Les cahiers de Radio-Paris, 15 janvier 1934, p.49 à 50.
  • 1937 ARTICLE : Léon Deshairs, « Regards sur l’œuvre de Charles Despiau », Art et Décoration, Tome LXVI, 1937, p.142, repr.
  • 1939 ARTICLE : « Deux chefs-d’oeuvre de la sculpture française - L’Assia de Despiau et le Désir de Maillol entrent au musée Boymans de Rotterdam », Beaux-Arts, 13 janvier 1939, p.1, repr. (grand bronze)
  • 1945 ARTICLE: Agnès Rindge, « Charles Despiau », The Museum of modern Art Bulletin, janvier 1945, p.7, repr. p.7 (grand bronze)
  • 1954 WALDEMAR GEORGE: Waldemar George, Despiau, Berlin, Kiepenheuer & Witsch Köl., coll. « Europaïsche Bildhauer », 1954, repr. Pl.24 (plâtre)
  • 1993 EXPOSITION : Assia, sublime modèle, Mont-de-Marsan, Calais, Poitiers, 10 novembre - 12 juin 1993 (Christian Bouqueret : “Assia, sublime modèle”, p.13 à 34, et “Assia, éléments d’une vie”, p.35 à 36 - Elisabeth Lebon, “L’Assia de Despiau”, p.39 à 46)
  • 1995 THÈSE : Elisabeth Lebon, Charles Despiau (1874-1946) – catalogue raisonné de l’œuvre sculpté, Thèse de doctorat d’Histoire de l’art, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, 1995, tome II volume 2, p.424 à 439
  • 2006 BOUQUERET : Bouqueret, Christian, Assia, sublime modèle, Marval, 2006.
  • 2016 LEBON : Elisabeth Lebon, Charles Despiau, classique et moderne, Atlantica, Biarritz, 2016, p. 156 à 162

Expositions sélectives (version oreilles découvertes grandeur nature uniquement)

  • 1937 PARIS : Exposition internationale des arts et techniques dans la vie moderne, bronze, Paris, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, 1937
  • 1937 PARIS : Les Maîtres de l’art indépendant, plâtre, n°41, Petit Palais, Paris, 1937
  • 1938 LONDRES: Sculpture by Despiau, plâtre, n°23, bronze, n°26, repr., Wildenstein and Co gallery, Londres, 1938
  • 1938 ROUEN : Charles Despiau, sculptures et dessins, plâtre, n°20, repr., musée de Peinture, sculpture et arts décoratifs, Rouen, 1938.
  • 1939 NEW YORK: Art in our time, bronze, n°266 (plâtre reproduit au catalogue), Museum of modern Art, New York, 1939.
  • 1946 PARIS : Présentation des collections du Petit Palais – L’Art moderne, bronze, n°99, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Paris, 1946
  • 1948 NEW YORK: Charles Despiau – sculpture, bronze, n°17, Buccholz Gallery, New York (USA), 1948
  • 1950 ANVERS : Première exposition internationale de sculpture en plein air, bronze, n°36, Middelheim Park, Anvers (Belgique), 1950
  • 1957 COLOGNE : Bundesgartenschau, bronze n°11, repr., Cologne (Allemagne), 1957
  • 1957 PARIS : Rodin, ses collaborateurs, ses amis, bronze, n°33, musée Rodin, Paris, 1957
  • 1959 DORTMUND: Französische Plastik des 20 Jahrhunderts, bronze, n° 34, Museum am Oskwall, Dortmund (Allemagne), 1959
  • 1959 CHARLEROI : De Maillol à nos jours (120 sculptures et dessins du Musée national d’Art moderne de Paris), bronze, Palais des beaux-arts, Charleroi (Belgique), 1959
  • 1966 MOSCOU : (Rodin et son temps), bronze, Musée Pouchkine, musée de l’Ermitage, Moscou (URSS), 1966
  • 1973 PARIS : Salon d’automne : hommage à Elie Faure, plâtre, Paris, 1973
  • 1974 PARIS : Charles Despiau, sculptures et dessins, bronze, n°83, repr.83, Musée Rodin, Paris, 1974
  • 1974 PARIS : La Bande à Schnegg, bronze, n°71, repr. pl.I, musée Bourdelle, Paris, 1974.
  • 1975 MONT-DE-MARSAN : Charles Despiau (1874-1946), plâtre, bronze, Donjon Lacataye, Mont-de-Marsan, 1975
  • 1979 SAINT-ETIENNE : L’art dans les années trente en France, bronze, n°81, repr. p. 55, musée d’Art et d’Industrie, Saint-Etienne, 1979
  • 1987 PARIS : Paris, 1937, l’art indépendant, bronze, n°8, repr. p.56, Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, Paris, 1987
  • 1993 MONT-DE-MARSAN : Hommage à Despiau, plâtre, Centre d’art, Mont-de-Marsan, 1993
  • 1997 diverses villes JAPON : Charles Despiau (1874-1946), The Miyagi Museum of Art- Mie Prefectoral Art Museum - Kumamoto Prefectoral Museum of Art - Ohara Museum of Art - Yamanashi prefectural Museum of Art - Hyogo Prefectural Museum of Modern Art, Kobe - The Museum of Modern Art, Ibaraki - 7 juin 1997 au 22 mars 1998 (catalogue bilingue franco-japonais), n°50, repr. p.167, notice p. 202 à 204 (en français - en japonais p. 144-145), dessin préparatoire p. 235
  • 2010 METZ: Chefs-d’œuvre ? bronze, Centre Pompidou-Metz (exposition inaugurale), Metz, 2010
  • 2013 BEELDEN-AAN-ZEE: Charles Despiau, sculpteur mal-aimé, Museum Beelden-aan-Zee, Gerhard-Marcks-Haus, Bremen, 2013, n°40, repr., p.208

 

Charles Despiau

Charles Despiau fut, de son vivant, le bustier le plus unanimement admiré d’abord par ses pairs sculpteurs, puis par les grands collectionneurs d’art moderne ainsi que par les critiques de tous bords dans la première moitié du XXe siècle. Il s’illustre également par quelques figures remarquables dont Assia, qu’il voulut être son chef d’œuvre.
Despiau exposa aux côtés de Matisse, Brancusi, Picasso, Zadkine, Henri Laurens… Alberto Giacometti, Jacques Lipchitz, Germaine Richier et bien d’autres sculpteurs emblématiques de l’art moderne lui vouaient ouvertement la plus grande admiration[1]. Dans l’entre-deux guerres, il forma avec Maillol le duo moteur de la sculpture figurative moderne, reconnu à cette place majeure dans toute l’Europe, le continent américain, et jusqu’au Japon.
Avant la première guerre mondiale, Despiau est d’abord remarqué et très vite admiré par les jeunes sculpteurs qui tentent de se dégager de l’influence de Rodin, mais aussi par Rodin lui-même qui l’emploie comme praticien de ses marbres. L’exposition internationale de 1925[2] lui ouvre la voie d’une carrière internationale. Les plus prestigieux musées, de très grands collectionneurs (Wertheim, Wildenstein, Guggenheim, Crowninshield, Meyer…) se disputent son œuvre, qu’il produit très lentement.
La modernité de Despiau rejoint celle d’un Cézanne, d’un Matisse et c’est ainsi qu’il est compris et admiré par ses contemporains.
Reconnu d’abord à l’étranger, Charles Despiau ne connaît de consécration officielle dans son propre pays qu’au moment de l’exposition de 1937, au cours de laquelle il révèle au public la figure d’Assia qu’il a travaillée quatre ans durant dans le secret de son atelier.
 

Le modèle : Assia Granatouroff

Assia Granatouroff (1911-1982) est une exilée russe arrivée à Paris à l’âge de 10 ans pour rejoindre son père dans des conditions extrêmement difficiles et rocambolesques. Elle pose pour de nombreux photographes : Emmanuel Sougez, Ergy Landau, Roger Schall, Dora Maar, Rogi André... Elle pose aussi pour des artistes et l’on pense, sans avoir pu identifier les oeuvres, qu’André Derain, Moïse Kisling, Gromaire, Suzanne Valadon, de Waroquier, Céria, Paul Belmondo, Chana Orloff l’eurent comme modèle.
L’argent ainsi gagné lui permet de commencer à étudier le théâtre où elle mènera une carrière honorable, spécialement dans des rôles tragiques, sous la direction de Charles Dullin ou aux côtés d’Edwige Feuillère, Louis Jouvet, Danielle Darrieux... Arrêtée par la Gestapo pendant la guerre, elle réussit à se faire libérer et rejoint la Résistance, prenant le nom d’Assia Granatour.
Lorsqu’elle arrive dans l’atelier de Despiau en 1932, l’artiste est conquis : “Il s’assoit de stupéfaction et s’écrie : - Les épaules sont égyptiennes, le bassin est grec !”[3]

 

L’œuvre

Assia a rapporté que le sculpteur fit d’abord trois esquisses en terre, avant de commencer à travailler sur des plâtres. Chaque plâtre est repris à la plastiline, puis moulé. Ainsi de suite quatre années durant. Despiau travaille d’abord en demi-nature. Il explore une version où les oreilles sont couvertes par les cheveux. Mais elle est abandonnée, probablement parce que l’effet de casque ou de couronne a dû sembler trop anecdotique[4]. Une version demi-nature est aussi travaillée sans bras. Puis la pose aux oreilles découvertes est définitivement fixée à demi-grandeur avant d’être portée puis retravaillée à grandeur nature.
Une main se recule sur une fesse et entraîne tout le bras, l’épaule, la ligne du torse, tandis que l’autre main repose sur la cuisse et le torse vrille dans un mouvement suggéré pour rendre le dynamisme juste sensible, sans aucun déséquilibre. Il faudrait détailler chaque ligne de plan, la façon dont s’enchaînent, se croisent, se soutiennent, se répondent les axes, celle dont les ombres sont guidées ici ou effacées là ; souligner chaque sommet éclairé et le relier à chaque creux ombré pour obtenir une carte magistrale de cette cohérence, véritable abîme de subtilités enchaînées que seule une longue et attentive contemplation permet d’apprécier.
Assia est un nu mais n’est pas qu’un nu : c’est la femme des années trente, douée d’une forte personnalité, elle se revendique solide, puissante, dynamique, intelligente, assumée et libre.
Despiau a-t-il réussi à donner avec Assia sa “Vénus moderne”?[5]Si l’on en juge par l’opinion des contemporains, cela ne fait aucun doute. “Assia of 1938 reflects the taste of the time, easily, unconsciously, as sculpture that is part of that time.” écrit Agnès Rindge dans le Bulletin du Museum of modern Art de New York[6].
Le nouveau musée d’Art moderne de la Ville de Paris, qui ouvre ses portes au moment de l’Exposition de 1937, expose le bronze. La pièce est très remarquée.
Despiau considère la version en plâtre d’Assia comme une œuvre tout aussi aboutie au point de la présenter elle aussi à l’autre grand évènement de 1937 : l’exposition des Maitres de l’art indépendant proposée au Petit Palais où il occupe une place de choix.
La plupart des dix épreuves prévues pour le grand bronze rejoignent très vite des musées prestigieux comme, dès 1938, le parc Middelheim d’Anvers et le musée Boymans-van Beuningen de Rotterdam ; en 1939, le MoMA de New York. En 1952, toutes les épreuves sont écoulées. Celles passées en mains privées y sont pour beaucoup demeurées et l’œuvre est rarement visible en vente publique. Les grands plâtres répertoriés à ce jour sont également tous, sauf un en plus de celui-ci, conservés dans des collections publiques.
 

Le dédicataire de notre épreuve

L’épreuve ici présentée est dédiée à Georges Wildenstein (1892-1963), académicien, qui fut un grand galeriste, marchand et collectionneur. Il possédait également deux autres Despiau dans sa collection : un buste de Lucien Lièvreet un buste de Marie-Zéline Faure dite Zizou. Le plâtre d’Assia était exposé dans le hall d’accueil du Wildenstein Institute, 57 rue de la Boétie.
Wildenstein a exposé l’œuvre de Despiau dans sa galerie londonienne durant l’été 1938 dans laquelle figurent un plâtre et un bronze d’Assia (Sculpture by Despiau, plâtre, n°23, bronze, n°26, repr., Wildenstein and Co gallery, Londres, 1938).
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Edition du modèle

Plâtres
Six autres épreuves en plâtre du même modèle, dans les mêmes dimensions, ont pu être répertoriées.
Despiau a offert ou vendu ces plâtres considérés comme des œuvres achevées à des collectionneurs : Madame Pomaret (femme de ministre, ex-épouse du conservateur du Petit Palais et fondateur de la revue La Renaissance, elle-même en fonction au musée du Luxembourg), le Docteur Debat, le marchand-galeriste Georges Wildenstein. Les autres épreuves restées en sa possession ont été données par sa veuve et sont aujourd’hui conservées dans des collections publiques :
* Paris, École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs, non inventorié, plâtre de travail avec des reprises à la plastiline, don probable de Léon Deshairs (premier biographe de Despiau) 
* Bordeaux, musée des Beaux-Arts, Inv. D. 52.7.9, dépôt du Musée national d’art moderne, Inv.AM.4115s (provenance inconnue : legs de Mme Despiau ?) 
* Mont-de-Marsan, Musée Despiau-Wlérick, Inv. MM24, don de Mme Despiau via l’Association des Amis de Despiau et Wlérick
* Mont-de-Marsan, Musée Despiau-Wlérick, Inv. MM25, Don de Mme Pomaret née Fontenelle (acquis de l’artiste)
* Paris, Musée national d’art moderne, Inv. AM.1091s, don de Mme Despiau aux musées nationaux
Et dans une collection privée :
* Perth (Australie), Marjon collection, ancienne collection du Dr Debat (directement acquis de l’artiste)
 
Bronzes
fonte Alexis Rudier, 185x44x44 cm, 10 épreuves irrégulièrement numérotées sur 10
* Anvers (Belgique), Middelheim Park, inv.4
* Dijon (France), Musée des Beaux-arts, attribution de l’Office des Biens privés, Commission de récupération artistique, Inv.Rec.8s
* Paris (France), Musée national d’art moderne, attribution de la Commission de récupération artistique, Inv.Rec.7s
* Paris (France), Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, Inv.Ams.408 (commande de la Ville, acquis le 30 décembre 1936 pour 100.000 frs)
* New York (New York, USA), Museum of modern Art, Inv.334.1939
* Rotterdam (Pays-Bas), Musée Boymans-Van Beuningen, Inv.Bek.1244
* Toledo (Ohio, USA), The Toledo Museum of Art, Inv.50.241
* Collection particulière (France), épreuve numérotée 8/10 (ancienne collection du Dr Salavin)
* Cologne (Allemagne), Walraf-Richartz Museum (Museum Ludwig), numéroté 10/10, Inv.ML76/SK188
* Une épreuve n’a pas pu être localisée à ce jour.
Quatre épreuves marquées « E.A » (épreuve d’artiste) ont été tirées avec un cachet C.Valsuani à partir du plâtre de la collection Wildenstein (ici décrit) et conservent sa dédicace. Le flou sur leur commanditaire, la période de leur commande, les patines des épreuves qui ont pu être examinées - inhabituelles pour Despiau, le fait que les épreuves authentifiées soient toutes des fontes Rudier, ont porté à écarter ces bronzes du catalogue raisonné dans l’attente d’une preuve de l’autorisation de Mme Despiau - les ayants droit qui ont pris sa suite ne les ayant pas autorisées.
La Ville de Mont-de-Marsan a fait fondre un bronze placé devant l’Hôtel-de-Ville, d’après le plâtre de l’Association des Amis de Despiau et Wlérick (fonderie Susse).
 
Même version (oreille découverte), demi-nature
Avant de travailler à l’agrandissement, Despiau a d’abord achevé cette figure en demi-nature (91 cm). Deux plâtres ont actuellement pu être localisés (l’un au musée des Beaux-arts de Valenciennes – inv.S.Y.99 -, l’autre dans une collection privée française avait été offert par Despiau à un ami pour son mariage). Il en existe une série de sept (ou six) épreuves numérotées sur sept, en bronze, qui pourraient toutes être posthumes[7].
Un tirage en plâtre d’une étude pour la tête d’Assia, oreille découverte a également été conservée (Landes, collection particulière, H 19 cm)
Despiau a interdit toute reproduction photographique d’Assia en cours de travail preuve qu’il fut très attaché à ne divulguer cette œuvre qu’en état de complet achèvement, tel qu’il l’exposa en 1937, c’est-à-dire la version en grande nature à l’oreille découverte, aussi bien en plâtre qu’en bronze.
 
(extraits du texte d’Elisabeth Lebon)

[1] En 2018, l’exposition Giacometti, entre modernité classique et avant-garde, proposée au musée Maillol (Paris), du 14 septembre 2018 au 20 janvier 2019, range Despiau parmi les grands sculpteurs contemporains dont Giacometti subit l’influence.
[2] Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes, Paris, avril à octobre 1925.
[3]  Entretien avec Assia Granatouroff rapporté par Françoise Vrac (F. Vrac, Charles Despiau, mémoire de l’École du Louvre, 1976, non publié, p.47/48.
[4] Il est probable que deux épreuves en bronzes de cette version qui nous sont connues aient été posthumes, autorisées par Mme Despiau.
[5] Cité in 1934 GUENNE.
[6] 1945 ARTICLE.
[7] Les épreuves de bronze portent le cachet C. Valsuani et sont numérotées « /7 » mais l’une d’entre elles porte une double numérotation 3/7 et 4/7. Les épreuves du vivant devraient avoir une provenance antérieure à l’automne 1939, puisque la fonderie Claude Valsuani cesse alors toute activité jusqu’à 1948, donc après le décès du sculpteur. Or aucune des provenances qui ont été communiquées pour ces bronzes ne précède la seconde guerre mondiale, il est donc probable qu’il s’agisse de fontes posthumes autorisées et vendues par la veuve de Despiau.